Les étranges contradictions de Macaire Boulgakov au sujet des mariages mixtes

Publié le par Theophylactère

 

 

Macaire Bougakov (source Wikipedia)

Nous avions déjà évoqué sur notre blog la question des mariages mixte pour montrer combien ils sont contraires aux canons. Vous pouvez vous référer à ces articles, ici,  encore ici. Nous montrions notamment que les arguments défendant cet usage ne sont pas tenables.

Cependant, en matière de mauvais arguments défendant cette  pratique condamnable, l’explication la plus étrange et contradictoire que nous ayons trouvé provient de Macaire Boulgakov (1816-1882), métropolite de Moscou. Sur la question, dans sa « Théologie dogmatique orthodoxe », tome 2, cet auteur, érudit du reste très respectable, développe une approche pour le moins étonnante car éminemment contradictoire. Cédons-lui la parole, page 578

 

Comment le Métropolite Macaire évoque des canons qui contredisent sa thèse.

II- Quant aux personnes auxquelles est administré le sacrement du Mariage, suivant les règles de l’Eglise orthodoxe, il faut :

1° Qu’elles soient l’une et l’autre de la religion chrétienne. En effet, sans la foi en Jésus-Christ l’homme n’est point apte à recevoir la grâce divine communiquée par le sacrement (chapitre 197), et en général, nul ne peut avoir part aux dons spirituels offerts dans le royaume de grâce de Jésus-Christ, à moins d’être entré par la porte du Baptême. (Jean, III, 5). C’est pourquoi le pariage avec les infidèles (non chrétoens) est interdit aux chrétiens (IVe concile œcuménique, déc 14 ; VIe oecum, 72 [Note du bloggeur : il s’agit du concile in Trullo])

Vérifions le canon 14 du IVe concile oecuménique

Comme dans quelques provinces on a permis aux lecteurs et aux chantres de se marier, le saint concile a décrété qu'aucun d'eux ne doit épouser une femme hérétique; ceux qui ont eu des enfants après avoir contracté de pareilles mariages, s'ils ont déjà fait baptiser leurs enfants chez les hérétiques, doivent les présenter à la communion de l'église catholique; si ces enfants ne sont pas encore baptisés, ils ne doivent pas les faire baptiser chez les hérétiques, ni les donner en mariage à un hérétique, à un juif ou à un païen, à moins que la personne qui doit se marier à la partie orthodoxe ne promette d'embrasser la foi orthodoxe. Si quelqu'un va contre cette ordonnance du saint concile, il sera frappé des peines canoniques.

On note d’emblée que ce canon interdit en effet le mariage avec les non chrétiens… mais également avec les hérétiques, ce que l’auteur passe opportunément sous silence.

Continuons avec notre auteur.

II- Quant aux personnes auxquelles est administré le sacrement du Mariage, suivant les règles de l’Eglise orthodoxe, il faut :

2° Qu’elles soient de la religion orthodoxe, sinon toutes les deux, au moins l’une d’entre elles, le fiancée ou la fiancée ; sans cela, comment pourrait être reçue avec une foi sincère la bénédiction divine par l’entremise d’un ministre de l’Eglise orthodoxe, la foi à l’Eglise même qui distribue les dons de la grâce n’existant pas ? Mais, si l’une des parties est orthodoxe, en considération de son orthodoxie, on fait descendre la bénédiction divine sur l’union des deux contractants, pour que selon la parole divine, ils deviennent alors « une seule chair ». (Matthieu, XIX, 5). On ne le fait néanmoins qu’avec la condition expresse que la partie non orthodoxe ne touchera en rien à la foi de la partie orthodoxe, et que les enfants provenant de cette union seront élevés dans l’orthodoxie. (Concile de Laodicée, déc 10, 31 ; IVe concile œcuménique, déc 14 ; VIe oecum, 72 [Note du bloggeur : il s’agit du concile in Trullo])

Vérifions à nouveau ce que disent réellement les canons évoqués, mais non cités.

Canon 10 de Laodicée

Que le membres de l'église ne marient pas indifféremment leurs enfants avec les hérétiques.

Canon 31 de Laodicée

On ne doit pas se marier avec des hérétiques quels qu'ils soient, ni leur donner en mariage ses fils et filles, à moins qu'ils ne promettent de se faire chrétiens.

On voit donc que le concile de Laodicée exclut explicitement les unions avec les hérétiques. Il n’est nul question d’accord pré-nuptial concernant l’engagement du conjoint hétérodoxe de respecter la foi du conjoint orthodoxe ou d’élever les enfants dans la foi orthodoxe. Au sujet du canon 31, Saint Nicodème l’Hagiorithe commente : « Les chrétiens devraient épouser les hérétiques, uniquement à condition qu’ils promettent de se convertir, et passent premièrement de l’orthodoxie à l’hérésie ». La conversion est donc un préalable au mariage, comme l’indique l’usage de « premièrement », ce qui fait qu’il n’y a pas de mariage mixte à proprement parler.

Passons au célèbre canon 72 du concile in Trullo

Qu'il ne soit pas permis a un homme orthodoxe de s'unir à une femme hérétique, ni à une femme orthodoxe d'épouser un homme hérétique et si pareil cas s'est présenté pour n'importe qui, le mariage doit être considéré comme nul et le contrat matrimonial illicite est à casser, car il ne faut pas mélanger ce qui ne se doit pas, ni réunir un loup a une brebis. Si quelqu'un transgresse ce que nous avons décidé, qu'il soit excommunié. Quant à ceux qui étant encore dans l'incrédulité, avant d'être admis an bercail des orthodoxes, s'engagèrent dans un mariage légitime, puis, l'un d'entre eux ayant choisi la part la meilleure vint à la lumière de la vérité, tandis que l'autre fut retenu dans les liens de l'erreur sans vouloir contempler les rayons de la lumière divine, si l'épouse incroyante veut bien cohabiter avec le mari croyant, ou vice versa le croyant avec la non-croyante, qu'ils ne se séparent pas, car selon le divin apôtre, "le mari non croyant est sanctifié par sa femme, et la femme non croyante est sanctifiée par son mari".

Là où Macaire Boulgakov parle faussement d’ « une seule chair » au sujet d’un mariage mixte, le canon évoque une union illicite et nulle.

 

Pourquoi une telle contradiction ?

Macaire Boulgakov décrit en fait la pratique de l’Eglise de Russie à son époque, en omettant d’ailleurs quelques subtilités. Ainsi, dans certaines provinces de l’Empire russe (la Pologne entre autre), la religion des enfants des mariages mixtes suivait celle du parent du même sexe, et ce, en raison de dispositions légales qui s’imposaient aussi à l’église : les filles adoptaient la religion de leur mère, les garçons celle de leur père. On voit sans peine l'incongrüité de la sitation. L’autorisation des mariages mixtes dans l’Empire russe est en fait tardive. Elle date de Pierre le Grand : pour une raison peu claire (nous n’avons jamais pu nous procurer ce texte), le synode, alors nullement indépendant car le patriarcat avait été supprimé, émit un texte autorisant le mariage des prisonniers de guerre suédois, et donc luthériens, avec des orthodoxes et ce, sans conversion préalable. Il se pourrait que cette entorse canonique ait eu un but politique (ceci n’est qu’une hypothèse que nous suggérons). En effet, à partir de Pierre le Grand, les mariages entre des membres de la famille impériale et des membres d’autres cours européennes non orthodoxes se multiplient. Dans un contexte d’alliance sur fond de stratégies matrimoniales, enfreindre ces canons étaient utiles.

Toutefois, l’ancienne pratique en Russie était irréprochable et absolument canonique. Elle condamnait fermement les mariages mixtes. Voici ce qu’indique Eve Levin dans son ouvrage, « Sex and Society in the World of the Orthodox slavs, 900-1700 » à la page 102. (Sexe et société dans le monde des Slaves orthodoxes, 900 -1700). « Jean II, métropolite russe du XIe siècle critique les « princes croyants » pour avoir marié leurs filles en dehors de la foi. La présence d’une interrogation identique dans une liste de questions sur la confession du XVIIe siècle à destination du tsar indique que la pratique avait continué. »

En effet, Alexandre Ivanovitch Almazov, dans « le Mystère de la Confession dans l’église orthodoxe orientale » (en russe « Тайная исповедь в православной восточной церкви »), à la page 174 du volume 3 évoque cette question du confesseur au tsar visant à s’assurer qu’il n’ait pas donné des filles ou des sœurs en mariage à des non-croyants.

 

 

Cette question adressée au tsar indique qu’à l’époque, il eût été impensable ou du moins difficile que ce dernier tordit la pratique canonique afin de l’aligner sur ses désirs, que l’Eglise ne se pliait pas aux desiderata du tsar sur les questions spirituelles. Malheureusement, il en alla différemment avec Pierre le Grand et ses successeurs…

Pourquoi Macaire Boulgakov a-t-il pas abordé le sujet d’une telle façon ? Ignorait-il les canons qu’il évoque ? Cela semble peu probable qu’il ne les ait pas vérifiés, car il s’agit absolument des canons traitant de la question. Etait-il persuadé que la pratique de l’Eglise de Russie de son époque était correcte si bien que, connaissant de façon très superficielle ces canons, il s’est contenté de les évoquer sans en vérifier leur contenu exact ? Cela semble étrange pour un érudit de sa stature.  Était-il prisonnier de certains facteurs politiques et/ou ecclésiastiques qui l’empêchaient d’affirmer la doctrine orthodoxe de façon explicite ? Si oui, cel est bien dommage et regrattable, car la vérité doit être proclamée en toute circonstance. On note aussi qu'il aurait pu reconnaître la dissension entre la pratique de son époque et les canons tout en se retranchant derrière l’argument de l’économie, de la décision synodale sous Pierre le Grand, et autant d’autres arguments boîteux (arguments qui persistent jusqu’à nos jours), certes boîteux , mais néanmoins des arguments. Il ne l’a pas fait. Au contraire, il déploie un raisonnement bancal qui ne résiste pas à une vérification rapide et jette un doute sur sa honnêteté  et sa rigueur intellectuelles (du moins sur la question des mariages mixtes).

 

Bibliographie et sitographie

Boulgakov, Macaire. Théologie dogmatique orthodoxe, tome second. Paris :Librairie de Joël Cherbuliez, 1860.
Disponible à ce lien : https://www.google.fr/books/edition/_/cylAAAAAcAAJ?hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwj_iqa4ovrzAhVKJBoKHbPKAoIQ7_IDegQIFRAC

 

Levin, Eve. Sex and Society in the World of the Orthodox slavs, 900-1700. Ithaca: Cornell University Press, 1989

 

Александр Иванович Алмазов. Тайная исповедь в православной восточной церкви (le Mystère de la Confession dans l’église orthodoxe orientale de Alexandre Ivanovitch Almazov). Odessa, 1894 (3 volumes)

Disponible en ligne à ce lien : https://azbyka.ru/otechnik/Aleksandr_Almazov/tajnaja-ispoved-v-pravoslavnoj-vostochnoj-tserkvi-tom-1/

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